Alors que nous approchons à grands pas de l’édition 2020 du meeting Herculis EBS de Monaco, nous avons parlé à quelques participants de cette année pour leur demander comment ils avaient vécu leur confinement, leur entrainement pendant cette période et ce vers quoi ils se projettent désormais. Alors qu’elle récupère lentement mais sûrement sa meilleure forme, nous avons parlé à la double championne du monde Sifan Hassan, et discuté de ces derniers mois passés, à 16 jours du meeting.
Matthieu : D’où nous parles-tu ?
Sifan : Depuis les Pays-Bas, au Centre National du Sport de Papendal, près de Arnhem.
M : Où as-tu passé ton confinement ?
S : J’étais en Éthiopie pendant les cinq derniers mois.
M : À quoi ressemblait ton entrainement ? Comment a-t-il été perturbé par la situation ?
S : J’ai vu toutes les compétitions s’annuler, les Jeux Olympiques, les championnats du Monde du semi-marathon, et c’était dur de rester motivée. Je restais en bonne forme pour le semi-marathon mais quand ils ont été annulés, j’ai perdu ma motivation. J’ai fait une pause de deux semaines. Des porteurs du coronavirus sont aussi venus en Éthiopie, alors la piste a été fermée. Le gouvernement a donné l’ordre de rester chez soi pendant avril et mai. À cause de cela, je n’ai pas pu faire grand-chose. Je suis restée chez moi et je me suis également entrainée chez moi.
M : Donc tu t’es entrainée seule ?
S : Oui, je n’avais pas de groupe avec qui je m’entraine. Parfois, je me suis entrainée avec Yomif Kejelcha en Éthiopie, mais pas tant que ça car nous habitons assez loin l’un de l’autre.
M : As-tu pensé, à un certain point, qu’il pourrait ne pas y avoir de compétition du tout cette année ?
S : Non. Les premières semaines, je ne pensais pas ça. J’ai premièrement pensé que tout serait normal, comme d’habitude. Mais après un mois, puis après deux mois, j’étais plus inquiète, j’avais tout de même de l’espoir quand je voyais l’amélioration de la situation en Europe. Vraiment des sentiments partagés.
M : Que faisais-tu en dehors de la piste ?
S : J’ai regardé des films, lu des livres, et parfois un peu cuisiné. J’ai juste vécu à la maison comme d’habitude.
M : Quels étaient tes objectifs cette année avant l’apparition du COVID ?
S : Mon principal objectif était les championnats du monde du semi-marathon, et après ça, me focaliser sur la piste et battre mon record personnel sur 5000m et aussi sur 1500m. Sur le 1500m, je sens que je peux me rapprocher du record du monde, alors je veux m’entrainer pour m’améliorer. En ce qui concerne le 5000m, je veux courir plus rapidement que 14 min 20s. Et pour les Jeux Olympiques, j’avais en tête de doubler les deux distances.
M : Quels sont ces objectifs désormais, après le bouleversement de la saison ?
S : Je suis focalisée sur Monaco, mais je n’ai pas réellement préparé cette échéance. Quand tout était fermé, et que la piste était fermée pendant deux mois, je ne me suis pas beaucoup entrainée. En juin, quand les choses se sont améliorées, il y a eu des conflits politiques en Éthiopie et c’était très dangereux d’aller dehors. J’avais vraiment hâte de courir plus vite à Monaco, particulièrement parce que c’est ici que j’ai battu le record du monde du Mile, mais en restant chez moi tout ce temps, je n’ai plus trop de repères. Je vais juste y aller et voir comment je me sens.
M : Le virus a-t-il presque fait passer l’athlétisme au second plan ? Pour se concentrer sur d’autres priorités comme ta santé ?
S : J’avais très peur du virus. Heureusement, je n’ai pas eu de membre de ma famille touché directement. En tant qu’athlète, je n’ai pas du tout envie d’être malade. Alors j’étais extrêmement précautionneuse ces trois derniers mois. Je réfléchissais où j’allais, couvrais toujours ma bouche, et me nettoyais constamment les mains. Même si ma vie est focalisée sur la vitesse à laquelle je cours, certaines situations sont plus importantes et j’étais juste contente d’être en bonne santé.
M : Sur une note plus légère, tu as une grande histoire à Monaco ? Quel est ton meilleur souvenir ici ?
S : Le Monaco Run, je suis venue pendant l’hiver, j’essayais de battre le record du monde mais le rythme n’a pas tenu assez longtemps et je me suis retrouvée seule assez tôt. Je pensais que je n’y arriverais pas, et quand j’ai réussi, j’étais tellement heureuse. Mais le souvenir le plus spécial fut incontestablement le Mile. C’était génial. J’ai eu une réaction similaire, car le rythme était également lent, je pensais que je ne battrais pas le record du monde. J’ai fait un joli finish, et soudainement quand j’ai franchi la ligne, ils m’ont dit que j’avais battu le record du monde. Je ne pouvais pas y croire. Cela m’a donné énormément de motivation pour Doha. Monaco est vraiment l’un de mes endroits favoris.
M : Qu’est-ce que tu aimes dans les conditions ici ?
S : J’aime particulièrement la météo, et la piste. Tu sais, il y a beaucoup d’athlètes qui aiment Monaco, mais pour moi c’est vraiment spécial.
M : As-tu pu visiter les alentours quand tu es venue ?
S : J’ai un peu visité la ville l’année dernière, c’était vraiment bien. J’étais impressionnée par la taille immense des bateaux.
M : Et sur toute ta carrière, quel est ton souvenir le plus fort ?
S : Je placerais le record du Mile de Monaco très haut. Le Mile est l’une des épreuves les plus célèbres de l’athlétisme. Ce jour-là, j’étais la première surprise car je ne croyais pas que je le battrais [le record du monde]. Ce n’était pas dans les plans. Autrement, les championnats du monde à Doha l’année dernière étaient aussi extraordinaires.
M : Quand tu ne penses pas à la piste, qu’est-ce que tu aimes le plus faire ? Qu’est-ce que tu te vois faire dans le futur ?
S : Je pourrais devenir une businesswoman un jour, travailler dans l’import/export. Autre que le travail, je suis amoureuse de la nature. J’aime les montagnes, j’aime la mer. J’adore découvrir des nouvelles cultures, cela me rend toujours heureuse. Depuis le coronavirus, j’ai commencé à lire plus de livres et j’ai beaucoup apprécié ça aussi. J’ai particulièrement aimé un livre sur la population Oromo en Éthiopie.
Cette interview a été éditée et condensée pour plus de clarté.
Matthieu FORTIN est un contributeur pour le site du Meeting Herculis EBS.