Ces dernières semaines, nous avons discuté avec quelques-uns des meilleurs athlètes internationaux alors que les compétitions reviennent progressivement et que le meeting Herculis EBS approche à grands pas. Avec le recordman du monde du saut à la perche, Mondo Duplantis, nous avons parlé du confinement, de golf, de Monaco et de son record du monde.
M : Où es-tu actuellement ?
A : Je suis à Uppsala, en Suède.
M : As-tu passé tout le confinement en Suède ?
A : Non, j’étais en Louisiane de mars à juin.
M : Es-tu rentré en Suède facilement ?
A : Oui, j’ai pu rentrer facilement parce que je suis citoyen américain et citoyen suédois, donc je n’ai pas eu de problème pour aller des États-Unis en Suède. Mais mon père, qui est seulement citoyen américain, ne peux même venir ici en Suède. Ma mère et ma sœur sont avec moi puisque nous sommes tous les trois des citoyens suédois.
M : Comment cela s’est-il passé ? Qu’as-tu fait en dehors de la piste ?
A : Après la saison indoor, quand je suis rentré début mars, c’est seulement quelques semaines plus tard que tout a commencé. Tout a commencé à fermer en Louisiane, la piste, les infrastructures et tout ça, là où j’étais. Je vis à Baton Rouge en Louisiane, à une heure de l’endroit où j’ai grandi, à Lafayette, où mes parents vivent. Quand mon université, LSU, a fermé, je suis retourné chez mes parents pour être chez moi parce que c’est là que se trouvent aussi la plupart de mes amis et surtout là où est ma famille. Donc, je suis retourné avec eux et je me suis simplement entrainé dans le jardin, où j’ai commencé. J’ai une piste d’élan, une petite installation et j’étais là-bas presque jusqu’à juillet, jusqu’à ce qu’ils ouvrent certaines pistes à nouveau. Je suis resté là de fin mars à juillet.
M : Tu t’es entrainé chez toi, à quel point était-ce difficile ? Vous, les perchistes, avez eu la capacité de vous adapter. Pour vous entrainer chez vous, il vous faut juste un jardin. À quel point les infrastructures sont-elles importantes pour ta préparation ?
A : C’est capital, et tu ne réalises pas à quel point c’est important pour toi jusqu’au moment où tu ne les as plus. Quand je suis arrivé ici, en Suède, tout était ouvert et les infrastructures dont j’avais besoin pour faire tout ce qu’il me fallait étaient ouvertes. J’ai réalisé à quel point je considérais tout ce que j’avais pour acquis. Je n’avais pas réalisé la chance que j’avais jusqu’au moment où je ne l’avais plus. Je pense que c’est comme la vie, de plusieurs façons différentes.
Je suis parvenu à rester dans une forme correcte, ce n’est pas ma meilleure forme, évidemment mais je sens que j’y reviens après être revenu ici et m’être entrainé pendant environ 1 mois et demi ici en Suède. Donc je n’étais pas dans ma meilleure forme lorsque je suis retourné à la compétition, j’ai participé à des compétitions pour me remettre en état. Je savais que je n’avais pas la forme pour battre un record du monde, mais ça revient progressivement.
M : Comment te sens-tu en ce moment ?
A : Je me sens bien. Je sens que je me rapproche de là où je veux être.
M : Actuellement, peux-tu t’entrainer pratiquement comme tu le faisais avant que la période du coronavirus arrive ?
A : Oui, maintenant je peux, ça fait environ un mois et demi ce qui n’est pas très long, mais c’est déjà ça.
M : Tu as eu une saison indoor assez chargée. Avant que tout cela arrive, quelles étaient tes attentes pour la saison estivale ? Misais-tu tout sur Tokyo ? Comment était-ce ?
A : Avant la saison indoor, j’essayais juste de sauteur aussi haut que possible. Je savais que j’étais capable de sauter haut, au moins au-dessus de six mètres. Mon objectif pour le premier meeting était de passer les six mètres et de tenter, ensuite, de franchir une barre plus haute et c’est ce que j’ai fait. J’ai fait une tentative plus que correcte au record du monde et la semaine d’après, j’ai été capable de le battre. J’essayais simplement de sauter le plus haut possible, c’était mon objectif.
M : Quand tu as battu le record la première fois, pensais-tu que pour tous les sauts que tu ferais à cette hauteur, tu aurais une vraie chance d’établir un nouveau record ou était-ce vraiment une surprise ?
A : Eh bien, je pense que le saut le plus surprenant que j’ai fait est ma deuxième tentative à 6m17 à Düsseldorf en Allemagne. Mon premier essai à 6m17 était assez correct parce que c’était la première fois que je sautais à une hauteur pareille. Mentalement, c’était assez effrayant et puis, le deuxième saut, j’étais vraiment proche. J’ai réalisé à quel point j’étais proche d’y arriver. Quand j’ai compris ce que j’avais à faire pour y arriver, je suis devenu très confiant parce que je ne pense pas que beaucoup de gens ont l’opportunité, les capacités de battre un record du monde, ils ne savent pas réellement ce qu’ils doivent faire pour le battre. Et je savais parfaitement ce que je devais faire, c’était une sensation géniale à l’approche du meeting suivant à Toruń en Pologne : si je fais ce que je sais que je suis capable de faire, alors je peux battre un record du monde.
M : Y pensais-tu avant ? Avant de faire ce saut, réalisais-tu ce que ça allait impliquer pour toi ?
A : J’ai essayé de ne pas me laisser emporter par l’instant mais je me souviens que pour ma première tentative j’étais très confiant, je pensais savoir tout ce que j’avais besoin de savoir. J’ai pensé « je vais le battre », je me sentais très proche. Et lors de la deuxième tentative je savais vraiment ce que je devais faire, j’avais conscience des ajustements que je devais faire pour y arriver alors je me suis dit « je sais que si j’y vais, je peux le faire maintenant ». J’essayais davantage de me calmer et de reprendre mon souffle parce que j’avais le temps de me reposer, j’avais les cinq minutes règlementaires. J’étais vraiment impatient d’y aller, j’avais hâte de devenir le nouveau détenteur du record du monde parce que je savais ce que j’avais à faire. J’essayais seulement de m’asseoir un instant et de reprendre mon souffle parce que je ne voulais pas brusquer les choses et ne pas être prêt physiquement. Mentalement, j’étais prêt. La seconde où j’ai pris mon élan, mon corps l’a emporté sur ma raison et tout s’est déroulé naturellement.
M : Et quel est le rôle du public dans tout ça ? As-tu senti l’énergie du public en sautant avant de battre le record ou est-ce que tu t’es simplement concentré sur la barre que tu devais franchir ?
A : Personnellement, je tire beaucoup d’énergie du public. Quand la foule me donne beaucoup d’énergie, je sens que je peux vraiment tirer mon épingle du jeu. Quand le public sort de l’équation, c’est beaucoup moins exaltant pour nous. C’est définitivement moins amusant. Je veux que l’on me regarde et que l’on m’encourage et je veux que l’on crie lorsque je saute. Parce que ça me donne de l’adrénaline, ça me donne de la motivation pour franchir la barre.
M : Tu as parlé d’amusement. Est-ce tu trouves que c’est plus difficile de sauter haut quand, comme c’est le cas dans tous les sports en ce moment, il n’y a pas de fans dans le public ?
A : Je trouve que c’est plus difficile. C’est absolument plus difficile mais je pense que je peux tout de même sauter haut.
M : On va accueillir des fans, on travaille dur pour ça, on peut avoir jusqu’à 5,000 personnes ici à Monaco.
A : Ce sera mieux que tout ce qui a été fait jusqu’à présent.
M : Vous avez été créatifs et avez trouvé de nouvelles manières de faire de l’athlétisme quand tout a été annulé. Vous, les perchistes, avez été très créatifs parce que vous pouviez organiser des concours avec quelqu’un qui saute à un endroit et un autre qui saute dans un stade par exemple. Ma première question : à quel point étais-tu enthousiaste d’y participer ? Parce que c’était toujours mieux que rien. La deuxième : à quel point es-tu content de revenir à quelque chose de plus normal, comme on va l’organiser ici, à Monaco ?
A : À ce moment, le jardin et ce qu’on a fait chez nous était vraiment amusant. C’était aussi assez compétitif, c’était quelque chose pour réveiller notre esprit de compétition, c’était une idée très créative de la part de Renaud (Lavillenie). C’était une belle innovation vraiment divertissante pour les spectateurs parce qu’à ce moment-là, peu de choses étaient organisées dans le monde. Mais, en ce qui concerne les compétitions, je suis vraiment, vraiment, vraiment heureux de retrouver une forme de normalité et voir Renaud et tous les autres en personne et s’affronter en compétition, avoir trois tentatives pour chaque barre, contrairement au concours où l’on avait 30 minutes pour réaliser le plus de saut possible. La vraie compétition m’a beaucoup manqué alors je suis heureux d’y participer à nouveau.
M : Les perchistes avec qui tu sautes sont aussi tes amis. Avez-vous trouvé des façons de vous motiver les uns les autres ?
A : À mon avis, la motivation venait du « Garden Clash » que l’on a fait. C’était notre plus grande motivation parce que c’est quelque chose qui nous a poussé à continuer à s’entrainer, à rester en forme. Mais il faut aussi faire preuve de motivation personnelle. Évidemment, je ne savais pas ce qu’il allait se passer mais j’espérais qu’on aurait une sorte de saison à la fin de l’été donc j’étais plus dans cette mentalité : « dès que les choses reviendront à la normale et les meetings recommenceront, alors je devrais faire en sorte d’être prêt ».
M : Quand tu as participé à la compétition à Karlstad et a réalisé 5.94m, étais-tu en « mode compétition » dans le sens où tu t’es dit « Je veux sauter le plus haut possible » ou as-tu seulement faire des réglages ?
A : Toutes les compétitions auxquelles je participe, j’essaye de sauter le plus haut possible. Là, j’avais une petite course d’élan, je ne pouvais pas maitriser 20 foulées, je ne me sentais pas assez bien physiquement et techniquement, je ne l’avais pas en moi à ce moment donc je savais que ça n’allait pas fonctionner.
M : Quand tu as vu, comme tout le monde, que les Jeux Olympiques étaient annulés, tout comme d’autres compétitions, as-tu pensé qu’à un moment, tu aurais une saison outdoor blanche ou espérais-tu toujours qu’il se passe quelque chose ?
A : J’ai toujours pensé que peu importe ce qu’il pourrait se passer, s’il y avait des compétitions, j’y participerais parce que pour moi, il était difficile de me maintenir en forme alors que j’étais en train de me demander s’il y aurait, ou non, des compétitions. Si je n’avais pas fait de compétition cet été uniquement parce que les JO et les plus grandes compétitions ont été annulées, je n’aurais pas été capable de faire quoi que ce soit parce que la compétition est ce qui me motive. Je veux participer à des compétitions à nouveaux contre les meilleurs. Je veux dire, c’est pour cette raison que je fais ce que je fais. J’aime m’entrainer mais j’aime m’entrainer parce que ça me permet d’être meilleur en compétition.
M : Dans ce sens, comment t’es-tu senti quand tu as su que tu pouvais venir à Monaco dans moins de trois semaines ?
A : C’est génial parce que je n’ai pas de compétition jusque-là et c’est principalement sur ça que je me concentre en ce moment.
M : Quels sont tes objectifs ? Tu étais dans la forme de ta vie lors de la saison indoor et maintenant tout est un peu bousculé et tu n’as pas beaucoup de compétition pour te situer, pour savoir comment est ta forme. Maintenant, est-ce que tu te dis « Je veux gagner à Monaco parce que je veux toujours gagner lorsque je me présente à une compétition » ou il y a-t-il une hauteur que tu voudrais atteindre ou « je vais juste sauter et voir comment ça va se passer » ?
A : Je voudrais gagner, bien évidemment. Est-ce que Sam sera là ?
M : Oui, en effet.
A : Donc, il y aura une belle compétition et une belle bataille. On n’a pas eu une compétition depuis un moment tous ensemble, depuis la saison indoor à vrai dire. Ça va vraiment être amusant de se mesurer à nouveau à ces perchistes. En ce qui concerne la hauteur, je ne sais pas, c’est difficile de dire maintenant avec le manque de compétition et tout ça. Le but principal, notamment pour ce meeting est de participer et d’être compétitif parce qu’on ne s’est pas mesuré les uns aux autres depuis un moment.
M : Karsten (Warholm) nous a dit qu’il a joué au golf pendant le confinement, et on a pu voir que tu y jouais aussi dans tes stories Instagram. Est-ce une chose que tu adores faire ?
A : Je pense que je jouais plus au golf que je m’entrainais à vrai dire, surtout en mars et au début du mois d’avril. Les seules choses qui étaient ouvertes étaient des parcours de golf dans la ville. C’était pratiquement mon camp d’entrainement (rires).
M : Qu’as-tu fait d’autre en plus ? Comment était ta vie ? As-tu regardé beaucoup de films, lu beaucoup de livres ?
A : Plutôt oui. Tout étant fermé, ce n’était pas comme si mes amis et moi pouvions sortir et aller en ville. Rien n’était ouvert à l’exception des parcours de golf parce que c’est un bon jeu lorsqu’on doit respecter la distanciation sociale. Essentiellement, on a joué au golf, on est resté ensemble à la maison et on a profité de la compagnie de nos familles. Dans ma famille, nous ne sommes pas toujours ensemble donc c’était agréable de passer plus de temps en famille.
M : Pense-tu que ta vie a changé encore plus depuis que tu es devenu le détenteur du record du monde ?
A : Oui, on me prête beaucoup plus attention maintenant.
M : A quel point te prête-t-on attention par rapport au niveau que tu avais déjà ? As-tu plus de sollicitations de la part des sponsors et des médias ?
A : Ça, bien sûr. Aussi, davantage de gens me reconnaissent, surtout ici, en Suède. En Louisiane, un petit peu et aux États-Unis, pas vraiment. Mais quand je suis ici, en Suède, beaucoup de gens me reconnaissent. C’est une sorte de révélation, c’est un peu fou aussi, je n’ai jamais fait l’expérience de quelque chose comme ça c’est certain.
M : À propos des choses que tu attends pour la saison, est-ce que tu vas t’engager à plus de compétitions au fur et à mesure qu’elles seront ajoutées ?
A : En réalité, mon planning est déjà défini. J’ai Monaco, j’ai les championnats de Suède à Uppsala deux jours après et puis j’ai une série de cinq meetings encore après à Lausanne, Bruxelles, Berlin, Rome et Stockholm.
M : Les meilleurs perchistes participent-ils à ces compétitions aussi ?
A : Quelques-uns, oui, donc ça va être très compétitif. Dès que l’on s’affronte, c’est toujours compétitif. A Monaco, on sera tous ensemble, à Stockholm et Lausanne aussi il me semble. Je ne veux pas trop m’avancer, j’essaye de penser à un meeting puis à un autre et pour l’instant je me concentre seulement sur Monaco.
M : À propos de Monaco, quels souvenirs as-tu d’ici ? Tu étais aux Awards en 2018 et tu as participé à la compétition l’an dernier. Quels sont tes souvenirs ici, sur la piste et en dehors si tu as eu le temps de visiter ?
A : C’est un des endroits les plus beaux où je suis allé sans aucun soute. C’est vraiment un bel endroit. C’est aussi un très bon endroit pour sauter parce que l’on peut vraiment sauter haut et obtenir de bons résultats. L’année dernière, j’ai vraiment bien sauté mais Lisek a été plus fort, il m’a bien battu, il a sauté 6m02 je crois. Je sais que c’est un bon endroit pour sauter donc je sais que l’on fera des belles performances.
M : Tous les athlètes à qui j’ai parlé ces derniers jours ont tous dit la même chose : le climat ici est particulièrement bon pour leur permettre de faire des performances. As-tu ressenti la même chose ?
A : Oui, un climat chaud et peu de vent, c’est toujours bien. Vos conditions sont imbattables.
Cette interview a été éditée et condensée pour plus de clarté.
Matthieu FORTIN est un contributeur pour le site du Meeting Herculis EBS.