Dimanche, 10h32, Monaco. Grand soleil sur le port Hercule. Julien Wanders, débardeur blanc, cuissard et baskets rouges, termine son échauffement par quelques lignes droites à deux pas de bateaux et de yachts de milliardaires. Puis va se placer gentiment sur la ligne de départ au milieu de la meute. Et comme à Rais al-Khaimah (RAK), on le voit, l'œil du tigre, il l'a. C'est plutôt bon signe !
Dès le coup de pistolet, Julien Wanders se cale aux avant-postes dans la foulée des deux lièvres. Pour cette tentative de record du monde du 5 km, rien n'a été laissé au hasard. Ou presque. Un des deux meneurs d'allure s'étant blessé dans la semaine, l'organisateur a finalement réussi à dégoter à la dernière minute le Néerlandais Bram Som, qui a « pacé » la veille le record du monde indoor du 1 500 m de l'Éthiopien Samuel Tefera (3'31''04).
Parmi les outsiders – le Norvégien Sondre Moen, les Britanniques Luke Traynor et Adam Clarke, etc. –, aucun ne veut prendre le risque de suivre l'allure de fou furieux imprimée à l'avant.
Bram Som a été chargé de passer en 2'38'' au 1er kilomètre. C'est le premier étage de la fusée. Puis c'est au tour de Cornelius Kiplangat, le partenaire d'entraînement de Julien Wanders, de prendre le relais. Son « gars sûr », comme on dit dans le jargon, celui qu'il l'a déjà maintes fois « tiré » sur la piste cendrée de Tambach, au Kenya. C’est le deuxième étage de la fusée.
Kiplangat doit l'emmener au 3e kilomètre sur des bases entre 7'55'' et 8'. Sur les longues lignes droites bordées de palmiers de la Principauté, l'effort est maximal, intense, d'une violence inouïe.
Car, il faut bien se rendre compte d'une chose : les corps sont soumis à rude épreuve. Les bras et le faciès du Kényan sont, par exemple, des signes qui ne trompent pas. Intelligemment, il s'écartera quelques instants plus tard après être passés ensemble devant l'hôtel de luxe le Méridien Beach Plaza, situé en bord de mer.
10h43, Julien Wanders se retrouve à présent seul. Seul face au chrono, mais surtout seul face à lui-même. Seul face à sa souffrance. Il est encore incroyablement fluide, relâché, même s'il commence un peu à grimacer. Il jette un dernier coup d’œil derrière. Personne à l'horizon.
« C'est dur, mais c'est dur pour tout le monde ! Tu vas le faire ! »
À ce moment-là, on ne sait pas s'il entend les applaudissements et les « Allez, super ! Allez Julien, allez mon grand, allez, allez ». Ni même ce cri du cœur de ce monsieur dans le tunnel à quelques encablures du Monte-Carlo Star : « C'est dur, mais c'est dur pour tout le monde ! Tu vas le faire ! »
Julien serre les dents, s'accroche. Sur le final descendant, il en profite pour relancer un peu alors que certains badauds sont tranquillement assis en terrasse. À proximité de la ligne, sur le port Hercule, les gens massés le long des barrières l'encouragent timidement. Le temps pour le « Kényan blanc » de placer une dernière accélération sur le tapis rouge princier qui mène à l'arrivée.
Sur le chrono, les secondes défilent dangereusement. « Attention, 13'20''... Allez, allez, allez, public ! », harangue le speaker. Ça va se jouer à trois fois rien, cette affaire. Julien coupe le fameux ruban de la victoire, rincé, et attend, les mains sur les genoux, le résultat.
Record or not record : that is the question ! Sondre Moen arrive 8 secondes après lui et le gratifie d'une petite tape amicale dans le dos. « Et je crois que le record n'a pas été battu, et ce pour une seconde... Eh oui, vous n'avez fait pas assez de bruit », lâche le speaker, dépité. Qui a parlé un peu trop vite... Car après de longues minutes d'attente et de vérification du chronométreur officiel de la course (ChronoRace), il s'agit bel et bien d'un nouveau record du monde du 5 km (13'29'') pour Julien Wanders !
Le p'tit Suisse, déçu dans un premier temps, peut laisser éclater sa joie... Pour une petite seconde, sa vie vient de basculer dans une nouvelle dimension. Tout comme, du reste, celle de la Néerlandaise Sifan Hassan qui a réalisé un peu plus tôt le record du monde du 5 km chez les femmes (14'44'').
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Ismaël Bouchafra-Hennequin
© photo: P.FITTE / FMA